Monday, October 08, 2007

SAMEDI SOIR, J'ÉTAIS NOIR
Étienne Melvec - lundi 8 octobre 2007
icone_bleublack.jpgEntre usage de symboles douteux et récupération politique éhontée, l'équipe de France de rugby peut donner envie de tourner casaque.
Par ici, l'équipe de France bénéficie d'un statut d'équipe préférée qui relève de l'inconditionnalité. Même un sélectionneur attaché à annihiler la carrière internationale de notre attaquant préféré devrait échapper à notre vindicte. Pourtant, samedi soir, le constat a été net – et puisqu'il est subjectif, je le dirai à la première personne: j'ai été incapable d'apprécier pleinement le plaisir d'un match proprement mythique du XV de France, je suis resté à des années-lumière de ce que j'avais vécu lors de la même affiche de 1999.

Contrariétés
Sans exclure des motivations inconscientes inavouables (jalousie envers la place accordée subitement au rugby, syndrome du vieux con, pulsions homosexuelles refoulées lors de la consultation du calendrier des Dieux du stade...), il y a eu une accumulation de contrariétés trop considérable pour ne pas altérer la "pureté" de l'événement tel que je le conçois. Quand on se choisit une équipe, on la pare de toutes les vertus, on veut reconnaître dans son style de jeu et chez ses joueurs emblématiques ses propres valeurs. On enjolive, on réenchante. Quitte à déchanter ensuite, en découvrant à nos héros de 98, par exemple, nombre d'avanies peu glorieuses. Et parfois, les signaux négatifs sont "en direct", intrinsèquement liés à ce qui se déroule sur le terrain.

Laporte Maillot
Prenez cette affaire du maillot. Quel honneur y avait-il à priver l'adversaire de son blason, matérialisé par la tunique noire? Le combat n'était-il pas excessivement mesquin? S'agissait-il d'enfoncer le clou de cette véritable trahison symbolique que constitue ce maillot bleu marine: en effet, sans cette dispensable fantaisie de l'équipementier, cautionnée par la FFR et l'encadrement de l'équipe de France (Cf. le prix Moulitzer de février, CdF #34), il n'y aurait pas eu de polémique.
Et puis ce défi lors du haka, avec les internationaux formant un tifo simpliste à base de bleu-blanc-rouge... Si la scène a eu quelque chose de singulier, voire de martial, est-elle parfaitement conforme à ces "valeurs" du rugby dont on est obligé de conclure qu'en ce moment, elles ne sont plus qu'un levier du marketing massif accompagnant la compétition (1)?

Singer Sarkozy
Les marchands ne sont pas les seuls à avoir envahi la Coupe du monde. Comment ignorer, en effet, l'instrumentalisation de l'équipe de France elle-même, par le président de la République? Marcoussis a vu défiler les ministres et se pâmer Roselyne Bachelot, et les plans de com de l'Élysée et de Matignon se sont calés sur le calendrier des Bleus.
Le sélectionneur n'a ensuite pas hésité à singer Nicolas Sarkozy avec cette lecture, déplacée au point d'être obscène, de la lettre de Guy Môquet. Le geste n'est pas neutre, tant ce détournement est signé et confine à l'insulte politique. Si le ridicule ne tue plus, la flagornerie fait vivre: après la victoire comme l'Irlande, il s'exclame que les joueurs ont été "grands comme notre président". L'étanchéité n'est décidément pas ce qui caractérise les différentes activités de Bernard Laporte.


« Le flirt des politiques avec le sport national n'est pas une nouveauté. Mais là, il y a eu pénétration ».

Plans très gros
Ultimes coups de massue: le réalisateur de TF1 qui envoie le gros plan sur le président de la République dans la seconde suivant l'essai de Dusautoir – comme si c'était lui qui l'avait marqué. Sans compter qu'outre les ministres de Nico, ses amis ont aussi eu droit à leur cadrage, puisqu'on aperçut Christian Clavier dans la tribune. Le flirt des politiques avec le sport national n'est pas une nouveauté, mais là, il y a eu pénétration. Le degré d'instrumentalisation est inédit, et celle-ci est accomplie avec une absence de vergogne qui s'inscrit résolument dans un air du temps de plus en plus frelaté.
Difficile, ensuite, de faire abstraction d'un contexte qui envahit ainsi la pelouse. Il y a une telle tristesse à constater qu'une éventuelle victoire des Bleus en finale parachèverait une démonstration de marketing politique...


Alors, sous le coup du dépit de sentir mon plaisir gâché, j'ai viré de bord: mon cœur devenu gris battait à l'envers. Plutôt que de mitiger le bonheur espéré, plutôt que faire d'insupportables compromis avec des sentiments aussi sacrés, je pris le parti opposé, je poussai avec les Blacks en me disant qu'il était peut-être temps d'en finir avec le patriotisme sportif et de me mettre à l'universalisme consistant à choisir son équipe préférée pour le sport plus que pour le passeport.

Texte prix sur "les cahiers du football"